des idées derrière la tête
Les managers prolifèrent. Idéologues de la société de croissance, réducteurs de déficits, praticiens des théories du profit général au service d’intérêts particuliers, ils incarnent à présent les héros de ce qui tient lieu de politique dans les pays du capitalisme avancé. Le management, associé à la technocratie dont il devient synonyme, s’érige comme la rationalité supposée garantir une politique dite « responsable ». Financièrement s’entend. Les managers sont les héros de la politique de niveau zéro. Celle qui n’a plus d’ambition collective et sociale. Les managers prennent ostensiblement le pouvoir en Grèce, en Italie… convoitent même l’Union européenne déjà prête à leur donner les clés de la boutique. Ils sont soutenus et appelés à la rescousse par les technocraties supranationales. Auparavant ils se contentaient d’œuvrer dans les coulisses, laissant aux politiciens professionnels le soin d’administrer pratiquement leurs théories. Désormais ils prennent les commandes pour réduire la dette des uns et relancer la croissance des autres, avec en tête le fétiche de l’Economie toute puissante.
Les managers ne disent jamais ce qu’ils font réellement. Tous n’en ont pas conscience. Ils sont les Terminators de la société du travail décent. Ils sont les fossoyeurs de la répartition des revenus grâce au salariat. A force de vouloir faire plus avec moins, ils s’avancent en liquidateurs des peuples au nom de l’économie, des économies, de la bonne gestion et de ses infinies ritournelles. S’ils déclarent une fois encore relancer la croissance, c’est qu’ils défont les emplois. Car l’emploi coûte cher, en salaires et en « charges », or ce sont des économies qu’il faut réaliser, le plus rapidement possible, de manière à augmenter les profits des financiers. Ou à réduire les déficits. Augmenter les marges, réduire les coûts, trouver de nouvelles sources de revenus, telle est l’antienne dont la crise vient renforcer le refrain.
Qu’on se le dise : la société du management est une société du travail indécent. C’est une société prête à tout pour sauver le rendement et éliminer l’aléa humain de la machinerie techno-économique. Dans cette optique, l’humain doit apprendre à se comporter comme une machine réglée au millimètre près, auxiliaire d’autres machines dont les performances pourront être programmées et évaluées en temps réel. Les chiffres et les tableaux, au nom de la « rigueur budgétaire », prennent le pas sur la vie de sang, d’os, de chair, de rêves, d’idéaux et de pensées. Ils nous réduisent à néant. Les managers vont nous réduire à néant avec leur politique de cerveaux froids. Car une fois qu’ils auront réduit les coûts pour « sauver le système », il ne restera plus rien aux populations, que le froid, la faim, le mal de vivre dans le confort télévisé, les réseaux virtuels, les loisirs de supermarché et des miettes servies en allocations capricieuses et versatiles, mixées dans une soupe de culpabilité.
Dire que les managers sont les coupables ne sert à rien. Remplacez-les, d’autres viendront prendre leur place afin d’accomplir leur triste besogne. L’importance qu’ils se donnent n’est que le résultat glacial de leur aveuglement ; ils sont les larbins de luxe du système. Or c’est ce système-ci, en train de craquer de toutes parts, dont il faut accompagner la chute. Il faut être prêt à tomber. Nous devons nous tenir prêts pour mieux rebondir. Et créer, créer, créer.
Si les managers organisent la société du travail indécent, il faut aller jusqu’au bout de la liquidation du travail pour tous. En versant, à titre de compensation, un revenu à chaque citoyen qui en aurait besoin, pour se libérer collectivement du travail et de l’étreinte asphyxiante du management. Vivre sans « travailler », au sens étroit et, pour ainsi dire, traditionnel du terme, doit devenir possible. Ce sera manière de libérer l’initiative et la créativité des individus, de générer de nouvelles utilités, d’enflammer de nouvelles aventures. Entrepreneuriales et professionnelles y compris. Nous devons des aujourd’hui innover pour demain, en donnant les moyens à chacun de vivre sans crier misère pendant que d’autres vivent grassement, arrogamment perchés sur ses épaules.
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