des idées derrière la tête
Bien sûr, confondre l’auteur et ses personnages est une sottise banale, mais quand même, on avait fait la connaissance de Kléber, l’écrivain de La minute prescrite pour l’assaut, lorsque, inspiré par la guerre civile dévastant la France, il s’efforçait d’en tenir scrupuleusement la chronique, concentré sur son œuvre en dépit du chaos alentour. Dans son dernier roman, Un peu tard dans la saison, Jérôme Leroy fait plus que jouer le rôle de simple « greffier de la catastrophe finale » ; il voit plus loin, il imagine ce qui pourrait advenir après : un monde plus doux, post-baba cool mais nostalgique d’un retour communiste à la terre, ou bien à une forme de ce qu’avec Murray Bookchin, penseur du municipalisme libertaire et de l’écologie sociale, on appellerait du « communalisme ». En attendant le monde se défait dans la chaleur bouillante du réchauffement climatique. La révolution prend une figure étrange, l’Eclipse ou la désertion pure et simple, qui ne prévient pas, et qui, individu après individu, devient collective. Le système perd ses pions, l’addition de l’accumulation capitalistique laisse la place à la soustraction pour aller vivre à la marge, avec quelques poules, sous les arbres et sans ordinateur, et l’eau pure, ou presque, enfin retrouvée. La tentation d’un paisible maquis, d’une mise au vert qui sauverait le monde de lui-même. Ce phénomène parait suffisamment inquiétant pour qu’une agent des services secrets, Agnès Delvaux, surveille étroitement un homme, Guillaume Trimbert, un écrivain avec lequel elle entretient une étrange relation. L’intrigue file cette obsession ambigüe, qu’on devine portée par un amour qui rompt le tabou. Le Tabou pourtant universel, nous a appris Claude Lévi-Strauss, dont l’infraction sonne ici comme une forme de vengeance, le sacrifice insane pour qu’une lignée se perpétue. Un roman, doux et sombre à la fois, qui donne à penser le monde d’aujourd’hui.
A lire par exemple : La minute prescrite pour l’assaut, La Table Ronde, 2017. Le Bloc, Gallimard, 2011. Un peu tard dans la saison, La Table Ronde, 2017.