des idées derrière la tête
Le conseil général du Jura a mis fin à l’ « expérience tablettes » dans les collèges du département. Les tablettes y ont été introduites sans aucune précaution ; elles en sont retirées sans davantage de réflexion.
Depuis quelques années, nous sommes de plus en plus nombreux à dénoncer le caractère impensé du monde numérique que l’on nous impose. L’expérience jurassienne s’inscrit dans ce que HUKO a annoncé il y a un an, dans son premier manifeste (France, 2025 : les collèges disparaîtront, bon débarras !). Nous vivons le processus de démantèlement des collèges avant leur disparition à l’horizon d’une simple et courte décennie.
Listons tout d’abord quelques évidentes incohérences de cet impensé numérique.
Sur le fond, la question de la transmission et celle, conjointe, de l’apprentissage ont été écartées selon le syllogisme suivant : « Les jeunes aiment le numérique ; or les collégiens sont jeunes ; donc les collégiens aiment le numérique ! » Nous allions transmettre tout via le numérique, puisque les jeunes l’aiment. Exit toutes les questions fondamentales :
Pour compliquer encore la position de l’École par rapport à l’Internet, voici que surviennent les massacres des 7-9 janvier 2015. Cette fois, une bonne part des analystes comprennent enfin que le Web sert aussi de réseau de propagation des idéaux de violence et d’intolérance. D’un coup, le doute sur la validité du tout-numérique se généralise. Hélas, ce doute même reste lui aussi impensé. Les décisions gouvernementales et locales autour du numérique continuent de ne relever que de lieux communs. « Faire entrer l’école dans l’ère numérique », comme le proclame l’Éducation nationale, c’est éviter de poser les questions douloureuses. Est-il utile à l’être humain d’avoir accès aux réseaux sociaux, comme le proposaient les tablettes jurassiennes ? En quoi l’ère numérique est-elle émancipatrice ? (car le rôle de l’école est bel et bien d’émanciper l’être humain). L’école doit-elle « faire entrer » des générations de digitals naïfs dans un monde tracé par d’autres, en l’occurrence les monstres du numérique comme Google ou Apple ? Ou encore : le modèle de développement économique du numérique est-il viable ?
Le conseil général du Jura a jeté par les fenêtres 35 millions d’euros pour installer la wifi désormais inutile dans les collèges du département, 8 millions pour former les professeurs à l’usage des tablettes qu’ils ne toucheront plus jamais, et encore 2,5 millions pour l’achat d’environ 3000 tablettes au prix exorbitant de 900 euros pièce. Tout cela dans un département de 250 000 habitants, 13000 collégiens, dont 3000 sixièmes. À l’échelle locale, c’est un gouffre. À celle de la France, cela représenterait environ 10 milliards d’euros…
La politique erratique menée en 2014-2015 dans un département comme le Jura à propos des tablettes le montre : le collège, qui est la cible numéro un des réformes à l’emporte-pièce, impensées et sans avenir, pose problème à nos décideurs. Les errements jurassiens concourent eux aussi à l’apparition de la « solution » annoncée et dénoncée par HUKO : la disparition, dès les années 2020, des collèges, devenus des lieux de violence et d’incohérence où se manifeste l’hypocrisie du monde adulte. C’est une évolution très grave qui se joue là. La disparition des collèges signifiera l’éclatement encore plus marqué de la République en communautés rivales, adverses, sans liens culturels entre elles.
C’est un énorme gâchis. Pour les élèves, auxquels le Conseil général et l’Éducation nationale ont fait croire qu’ils allaient accéder à un nouvel espace de savoir, et pour les professeurs qui s’étaient pour certains investis dans le processus. Mais le pire n’est pas là. Il est que la décision d’introduire les tablettes a été impensée, et que la décision de les retirer reste tout autant impensée. Aussi : tant mieux ou tant pis s’il ne se trouve plus de tablettes à la rentrée de septembre 2015 dans les collèges du Jura, bon débarras ! À une condition : que cela permette enfin de mettre le débat sur la place publique.
Le Groupe HUKO préconise l’instauration d’un débat de fond, dans les écoles elles-mêmes ainsi que dans les médias, sur la transmission et la pédagogie : il est temps de réfléchir à ce monde en émergence. Sous peine d’y perdre notre âme, et de ne plus retrouver la voie pour « faire société ». Et puisque le gouvernement actuel (et sans doute les suivants) s’entête à vouloir imposer le numérique à l’école à l’horizon 2018, nous demandons l’instauration d’un véritable débat contradictoire, avec temps égal pour les partisans comme pour les opposants du numérique à l’école.
par HUKO, Juin 2015
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