des idées derrière la tête
Rodolphe Christin : Henri Mora, vous êtes un opposant de la première heure au projet de Center Parcs qui vise la forêt des Chambarans, en Isère sur la commune de Roybon. Vous êtes également l’auteur de Chambard dans les Chambarans paru en 2011 aux éditions grenobloises Le Monde à l’Envers. En guise de préambule, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce projet ne serait pas, selon vous, une idée géniale ?
Henri Mora : Selon le point de vue que l’on défend, l’idée est géniale ou désastreuse. La ligne de front sépare l’opinion entre ceux qui perçoivent le projet tel qu’il est vanté par les plaquettes publicitaires du groupe Pierre & Vacances, fondé sur une analyse à court terme, essentiellement économiciste ; et ceux qui espèrent sortir de cette puissance productive socialement et techniquement séparée des individus qui affecte tous les aspects de la vie humaine et environnementaux.
Un Center Parcs est une ville de vacances privée et fermée par un grillage. Celui des Chambarans occuperait 200 ha. À l’intérieur se trouverait une bulle à 29°C dans laquelle il y aurait une végétation tropicale autour d’une piscine à remous, elle aussi chauffée à 29°C, avec en plus une « Rivière sauvage ». Voilà ce que vend la société Pierre & Vacances dans ses Center Parcs pour profiter d’un tourisme étalé sur l’année.
Mais la construction d’un Center Parcs est d’abord une opération immobilière. Le terrain (non constructible au départ et viabilisé ensuite par des financements publics) a été vendu par la commune de Roybon à 0,30 €/m2. Il faut savoir que le terrain constructible dans la région dépasse parfois 80,00 €/m2. La société Pierre & Vacances propose ensuite la vente des bungalows sur plan à des investisseurs, à des prix exorbitants (entre 235 000 et 372 000 €). Pierre & Vacances fait jouer la concurrence entre les différents départements pour choisir son emplacement : celui qui met la plus grande somme sur la table peut « bénéficier de la construction d’un Center Parcs ». Pour remporter le challenge face à la Drôme et au Jura, Monsieur Vallini, alors président du Conseil général de l’Isère, a concédé une aide de 15 000 000 d’euros.
Gérard Brémond, son PDG, a réussi à obtenir de ses relations au Parlement des décrets qui lui sont favorables, décrets baptisés dans les couloirs de l’assemblée « les amendements Brémond ». Ainsi, les investisseurs avaient pu bénéficier de la loi Demessine jusqu’en janvier 2011 et peuvent aujourd’hui encore bénéficier de la loi Censi-Bouvard qui devait être abandonnée fin 2012 et que Jérôme Cahuzac, alors ministre de l’Économie et des finances, a prolongé de quatre ans, sur les conseils de Gérard Brémond. Outre ces aides de l’État via les niches fiscales, et celles du département, le projet compte aussi sur le soutien de la Région à hauteur de 7 000 000 d’euros, et sur celui de la communauté de communes à hauteur de 8 000 000 d’euros.
Le chantier ferait travailler 700 personnes (1) et, une fois ouvert aux touristes, le Center Parcs emploierait 700 autres (470 emplois équivalents temps plein dans des conditions plutôt difficiles, vu les grèves successives que la société a dû essuyer jusque-là). Parmi ces emplois, 334 seraient affectés au nettoyage, mais seulement 9 h par semaine : 4h30 les lundis et 4h30 les vendredis, c’est-à-dire les jours où les cottages sont libérés et où les 8000 touristes se croisent dans Roybon.
Le Center Parcs rapporterait localement 12 000 000 d’euros de fournitures et de services. Les entreprises de BTP tireraient des profits et les commerçants environnants augmenteraient leur chiffre d’affaire.
Nous devons contester cette manière comptable d’aborder les problèmes sociaux. Nous devons dénoncer le fait qu’on essaie de nous faire croire que nous partageons avec les promoteurs du projet un seul et même intérêt : nous devons combattre l’idée selon laquelle nous avons le travail et la marchandise comme intérêt commun et le capitalisme comme unique cause à défendre.
RC : La contestation a emprunté, notamment grâce à l’action de l’association « Pour des Chambarans sans Center Parcs », une voie essentiellement juridique qui a connu un tournant le dimanche 30 novembre 2014 : une Zone à Défendre (ZAD) a été implantée dans une maison forestière proche du chantier. Pour quelles raisons ?
HM : Les autorités ont préféré soutenir le monde économique plutôt que d’entendre la commission d’enquête publique concernant la loi sur l’eau, qui avait émis un avis défavorable. Pierre & Vacances se serait engagé à prendre en compte les 12 points contestés. Un de ses représentants a bien voulu répondre sur les points techniques que la société allait prendre en compte. Cependant rien n’a été dit ou publié sur le problème essentiel soulevé par la commission d’enquête publique : la destruction et la parcellisation de la zone humide dans le bois des Avenières et l’aberration de ses compensations.
Beaucoup d’opposants se sont sentis trahis par les autorités et leur manière de faire passer le projet : le préfet de l’Isère a demandé ensuite conseil au Coderst composée de 6 représentants des services de l’État, 2 du Conseil général de l’Isère et 2 de la CCI sur un total de 19, satisfaisant ainsi le monde économique local qui s’était exprimé pour le maintien du projet, quelques jours à peine après la publication du rapport de la commission d’enquête et de ses conclusions.
Les travaux ayant commencé, les premières actions contre le début du chantier ont suivi, puis l’occupation de la maison forestière abandonnée de la Marquise.
RC : dans ce genre de conflit le risque n’est-il pas de voir apparaitre une rupture entre « pacifistes » et « radicaux » ?
HM : Dans un conflit comme celui-ci, une des stratégies des pouvoirs publics est de diviser l’opposition et de faire apparaitre une partie des opposants comme étant infréquentables. Il nous appartient de ne pas tomber dans ce travers que certains médias et les défenseurs du projet alimentent. Sans jamais faire l’éloge d’une quelconque violence, il parait toutefois nécessaire de préciser certaines choses : il y a tout d’abord eu une provocation à donner l’autorisation de commencer le chantier alors que l’enquête publique avait donné un avis défavorable. Par ailleurs des propos haineux sont tenus par les défenseurs du projet contre les opposants. Durant la manifestation des Pro-Center Parcs on a pu lire sur une des pancartes : « Zadistes, les Chambarans c’est pas ton pays ». Beaucoup d’élus reprennent ces propos à leur compte et même les suscitent : n’a-t-on pas entendu Alain Cottalorda, président du Conseil général, dénoncer avant même le début des travaux, les « extérieurs qui décident pour un territoire qu’ils n’habitent pas » ? Qu’on ne s’étonne pas ensuite de voir les élus PS manifester avec ceux du Front National… Ce monsieur n’a pas seulement fustigé les indésirables étrangers : dans un discours provocateur, il dénonce aujourd’hui à la tribune devant des centaines d’élus favorables au projet, les actes de sabotage visant à arrêter le chantier comme étant du terrorisme. Les socialistes vont-ils nous refaire le coup de Tarnac ? Les mots ont leur importance et cet amalgame n’est pas innocent… Devant toutes ces provocations et ces violences verbales, il n’y a eu pour l’instant aucun dérapage. Seuls les agents de sécurité ont fait usage de la force, en frappant violemment à coups de matraque des opposants cherchant à arrêter un chantier qui n’aurait jamais dû commencer.
Ce conflit, au-delà du projet du Center Parcs, oppose deux manières d’aborder la situation actuelle. La première cherche irrémédiablement à continuer dans la voie désastreuse de l’économisme marchand qui broie la vie et les conditions sociales, crée du chômage et détruit l’environnement. La seconde espère pouvoir sortir de cette obsession du développement à tout prix et élaborer de nouveaux rapports humains et sociaux. Les ZAD sont des « territoires » que l’on cherche à protéger de la destruction, elles sont souvent des endroits où s’expérimente un autre futur.
(1) On parle souvent aujourd’hui de 1500 emplois durant les deux années de chantier. Mais lorsque le projet a été présenté en 2008, on parlait de 700 emplois sur le chantier. En septembre 2009 André Vallini alors président du Conseil général de l’Isère confirmait que le projet devait générer « 750 emplois pour sa construction » (cf. le Dauphiné Libéré, l’édition 38H du 19/09/2009). Comment sommes-nous passés de 700 ou même 750 à 1500 emplois pour la construction du Center Parcs ? Cela restera pour nous un mystère ! http://chambarans.unblog.fr/2009/09...